Le besoin en financements des infrastructures de transports est un défi majeur à relever afin de réussir la décarbonation du secteur. Sur ce point, l'Etat a déjà fait beaucoup en augmentant massivement les financements dédiés à l'Afit sur la période 2018-2022. Mais, afin d'assurer le rythme de réalisation du scénario du COI, il apparait que l'Etat devra encore intensifier ses investissements ! En effet, dans son dernier rapport, le Comité d'Orientation des Infrastructures, présidé par David Valence, rapporte que "les investissements totaux auxquels il est proposé que l'AFIT France contribue s'échelonnent de moins de 60 Md€ à près de 130 Md€" sur la période 2023-2027, contre 76,3 Md€ sur la période 2018-2022.
Dans un contexte budgétaire contraint sur le long terme, il apparait nécessaire de réfléchir à de nouvelles voies de financement. La plus sous-évaluée reste selon moi l'immobilier. Alors, j'entends déjà les rabats-joie me parler du contexte plus que morose de l'immobilier, ce à quoi je répondrai que celui-ci reste avant tout conjoncturel et non structurel, et que la stabilisation annoncée des taux, conjointe à une baisse des prix, devrait permettre de ramener du dynamisme sur ce marché.
L'immobilier comme levier de financement des infrastructures de transport
L'accès à un moyen de transport alternatif à la voiture renforce l'attractivité de nos territoires. Cela se traduit, en général et à de rares exceptions près, par une hausse du prix de l'immobilier. Si l'on accepte de prendre une fourchette large, on peut dire que l'arrivée d'une nouvelle infrastructure de transport entraîne l'augmentation systématique de la valeur des biens immobiliers alentour entre 5 et 20%.
À l'heure actuelle, il n'y a pas de financement différencié des projets en fonction des bénéfices socio-économiques qu'ils engendrent.
Or, le financement de ces projets repose en général sur 3 acteurs : la collectivité locale, la région et l'Etat (de manière directe ou indirecte). Je ne renierai pas le caractère positif global d'une infrastructure de transport sur l'ensemble d'un territoire et même, si l'on raisonne en matière de développement durable, sur l'ensemble d'un pays (qui dit moins de polluants générés, dit moins de dépenses sanitaires, et donc moins de cout généré pour la société). Néanmoins, à l'heure actuelle, il n'y a pas de financement différencié des projets en fonction des bénéfices socio-économiques qu'ils engendrent.
A l'heure où les SERM (Services Express Régionaux Métropolitains), chers à Jean-Marc Zulesi, viennent d'être votés, alors que de nombreux projets sortent de terre, il convient plus que jamais de se poser la question, selon moi, de l'apport de l'immobilier, via une taxation temporaire, afin de financer les infrastructures de transport. Il ne s'agit pas de capter 100% de la plus-value évidemment, et il convient de rester modeste afin de ne pas impacter le marché immobilier dans ces zones.
Des expérimentations ont déjà existé, jusqu'en 2015, avec une initiative visant à taxer les plus-values immobilières réalisées suite à des aménagements urbains dédiés au transport. Trop compliquée, peu rentable, cette taxe fut supprimée.
Une taxation temporaire assise sur des éléments déjà existants
Imaginez: Vous vous portez acquéreur d'un appartement en 2022. 2 ans plus tard, une station de métro est érigée à moins de 10 minutes de votre appartement. Au-delà du bénéfice en matière de qualité de vie quotidienne, il apparait que vous bénéficierez également de bénéfices financiers importants, probablement 10 à 20% de valeur supplémentaire par rapport au bien si l'infrastructure de transport n'avait pas existé. Le tout sur le dos de la collectivité toute entière, c'est agréable, mais est-ce bien raisonnable ?
Taxer la plus-value est trop compliqué et ne fonctionne pas, c'est un fait. Aussi faut-il réfléchir à une autre manière de récupérer des bénéfices, assise sur l'existant. Ça tombe bien, certaines taxes reviennent déjà aux collectivités locales dans le cadre de la vente de biens immobiliers, les droits de mutation à titre onéreux, ou #DMTO pour les intimes.
Les technologies actuelles doivent nous permettre aisément de différencier les foyers bénéficiant pleinement des avantages des infrastructures de transport, au regard de leur distance temporelle à l'infrastructure elle-même. Ainsi, nous pourrions imaginer un taux bonifié de DMTO en fonction de la distance à pied de l'infrastructure, en se basant sur 10 min, où l'attractivité est la plus forte, et 15 min, qui bénéficient encore d'une bonification. Si on imagine une bonification sur 10 ou 15 ans des taux de DMTO de l'ordre de 2% sur les transactions de biens à moins de 10min des infrastructures nouvellement construites et 1% pour celles à moins de 15min, la collectivité peut récupérer des montants non négligeables.
Pour être pleinement fonctionnelle, cette mesure doit rester une faculté pour les collectivités locales afin de financer les infrastructures de leur territoire, avec un plafond pour le taux, et un accompagnement spécifique ingénierie financière en accompagnement. A ce jour, il m'est impossible d'estimer les bénéfices possibles sur un cas donné, qui mériterait une étude approfondie de la part de l'Etat. Peut-être une première étape ?
Repenser le rôle de nos infrastructures
Par ailleurs, doit-on voir dans les infrastructures d'accueil des passagers, autrement dit, par exemple, les gares, uniquement des infrastructures de transport ? C'est une question à se poser, qui est par ailleurs le sens de la bonne intervention de Valérie Pécresse, Présidente de la Région Ile de France, au Sénat. "Ces gares ont été conçu comme des gestes architecturaux, et non pas comme des centres de profit, avec des bureaux ou des centres commerciaux. C'est vraiment des gares.". Cette doxa sur nos gares implique deux choses :
des couts d'exploitation importants, donc une augmentation des budgets de fonctionnement
Un manque de ressources financières nouvelles
Les japonais l'ont bien compris, en faisant de la gare non seulement un lieu d'accueil et de transit des trains, un hub multimodal mais aussi comme un lieu structurant la ville. Nous aussi, en France, l'avons fait au 19ème siècle, avec les problématiques d'alors. D'ici 2030, le Grand Paris comptera 68 nouvelles gares. Il y a fort à parier que bon nombre d'entre elles seront déficitaires, portées par la Collectivité, en l'occurence la région. Le paradoxe, c'est que ces gares vont en même se révéler des pôles extrêmement attractifs, tant pour les entreprises que pour les particuliers. Et cette attractivité ne viendra pas de l'architecture des lieux, mais du service qu'ils rendent ! Ainsi, pourquoi ne pas penser dès la construction à un meilleur usage de l'espace, intégrant des bureaux, commerces et logements ?
Pour reprendre l'exemple du Japon, les compagnies ferroviaires tirent la majorité de leur revenus non pas de l'exploitation de transport mais des services immobiliers associés. A quand la même chose en France ?
Repenser le financement pour faire plus
Pour conclure, peut-être vous dire que cet article a non seulement vocation à diminuer l'usage d'argent public, mais aussi et surtout à faire plus. En repensant le modèle économique de nos infrastructures, avec toutes les inexactitudes que cela comporte, permet d'imaginer un modèle où la seule limite demain sera l'usage et la densité, alors même qu'aujourd'hui notre seule limite repose sur des questions budgétaires.
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